5.3 – Jouer sa peau prévient la diffusion des comportements dangereux
Si la peau dans le jeu se matérialise beaucoup plus lentement que les comportements se propagent, c'est comme s’il n'y en avait pas.
Dans le chapitre précédent, nous avons vu comment jouer sa peau empêche les individus dangereux de mettre les autres en danger. Ce n’est pas la seule façon dont jouer sa peau rend une population plus sûre.
Prenons l’exemple des charlatans. La plupart des populations en contiennent quelques-uns. Si on leur permet de ne pas jouer leur peau, ils peuvent perpétuer leur arnaque. Ils deviennent célèbres. Les gens les imitent au lieu d’imiter quelqu’un de plus compétent. En conséquence, les comportements inefficaces ou dangereux se propagent. C’est mauvais.
À l’inverse, si on leur demande de jouer leur peau, le succès des charlatans est de courte durée, et ils perdent leur statut de célébrité avant d’avoir influencé trop de gens.
Jouer sa peau empêche la propagation des comportements dangereux ou inefficaces, en garantissant que les escrocs, les charlatans et les incompétents soient rapidement filtrés du bassin d’experts que le public écoute et imite.
L’importance de l’instantanéité
Contrairement à la croyance populaire, de nombreux PDG ne semblent pas jouer leur peu. Du moins, pas à court et moyen terme : ce qui transgressent les lois restent impunis ou reçoivent à des amendes trop petites. Ce manque de conséquences efficaces et immédiates couplé à leur célébrité signifie qu’ils deviennent un modèle attrayant dont les gens veulent copier leurs comportements.
Il est possible que ces PDG soient condamnés criminellement dans le long terme, mais cela n’a pas d’importance aux fins de l’imitation comportementale. Si la peau dans le jeu se matérialise beaucoup plus lentement que les comportements se propagent, c’est comme s’il n’y en avait pas.
Ce qui compte, ce n’est pas de jouer sa peau en théorie. Tous les entrepreneurs le font. Au lieu de cela, ce qui compte, c’est si les comportements dangereux entraînent réellement une fin du jeu pour l’entrepreneur. Si cela ne se produit pas, ou se produit trop lentement, alors le comportement dangereux peut se propager avant que ses conséquences néfastes ne se matérialisent.
Donc la nécessiter d’avoir pas seulement un système judiciaire qui produit des punitions effectives mais aussi qui le produise rapidement.
Notes complémentaires : ergodicité et culture numérique [1] et les sociétés mimétiques [2]
[1] L’essai « Ergodicité et culture numérique » (https://spearoflugh.substack.com/p/ergodicity-and-digital-culture-13ba17989890) fait le point suivant (ici, paraphrasé ou cité). Dans la tradition orale, l’information se propage lentement. L’information est filtrée au fil du temps. Par conséquent, les comportements qui se propagent ont tendance à être ceux qui aident à la survie de ceux qui les exécutent. Dans la tradition écrite, l’information est filtrée par les élites et les éditeurs. L’information qui survit tend à aider à la survie des élites et des éditeurs. Inversement, dans la « tradition Internet », la diffusion d’informations est gratuite, instantanée, et peut être faite par des personnes sans qu’elles ne jouent leur peau. Les personnes peuvent propager des faussetés sans répercussions. Les comportements dangereux peuvent se propager largement. La construction de la culture n’est pas ergodique, car sa propagation dans le temps donne des résultats différents de sa propagation à travers les populations, et parce que la culture numérique obtient des résultats différents de ceux de la tradition orale.
[2] « Mimetic societies » est un court essai de moi disponible gratuitement sur bit.ly/mimeticsocieties